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28
Mar
2024

Mobiliser la propriété collective pour défendre la maîtrise d’usage culturelle

Autrices :
Laura Aufrère et Joséphine Dresler, Coordinatrices à La Main, foncièrement culturelle


Le foncier culturel se situe à l’estuaire des droits culturels et des mobilisations liées aux “droits à la ville” et celles en zones rurales pour la défense des lieux autogérés.

Avec un “ancrage primordial dans le faire et la création artistique” (Henry, 2022), les lieux  artistiques intermédiaires et indépendants constituent une catégorie spécifique parmi les tiers-lieux à dominante culturelle. S’y articulent des enjeux artistiques, de société et territoriaux à partir de logiques d’action fondées sur l’expérimentation et la créativité organisationnelle, portées par des collectifs d’usagers et d’usagères, artistes issus des mondes professionnels ou amateurs, et développant des pratiques hors des mondes de l’art. Ensemble, ces pratiques constituent une maîtrise d’usage qui fait émerger ces lieux en tant qu’”espaces publics polycentriques”, l’espace public politique étant “un espace d’interactions engendré par les citoyens parlant et agissant ensemble” (Laville, 2003).

La propriété collective du foncier, un outil stratégique

Face au durcissement de la spéculation immobilière qui les menace, les communautés de ces lieux s’organisent, bien au delà du secteur culturel, en zone rurale comme en zone urbaine très dense : du réseau de lieux en propriété d’usages du Clip aux Zones d’Écologies Communale des Lentillères à Dijon, en passant par la mobilisation citoyenne et populaire de l’Après M à Marseille. Parmi ces mobilisations, la propriété collective du foncier est devenue un outil stratégique. À défaut de pouvoir revendiquer ces lieux comme des communs de plein droit, et de faire ainsi présider la maîtrise d’usage aux logiques de pouvoir centralisé qui caractérisent les modes de propriété publique et privée, les tentatives se multiplient pour dissoudre ce pouvoir dans le collectif.

Une maîtrise d’usage qui repense la propriété 

Pour autant, la propriété collective n’est pas elle-même dénuée d’ambiguïté, et recompose – plus qu’elle ne permet d’évacuer – ces enjeux de pouvoir. Rabattre la maîtrise d’usage sur une propriété partagée – fusse-t-elle suffisamment diffuse pour qu’aucun pouvoir personnel ne s’institue pleinement – ne permettra sans doute pas de se prémunir de nouvelles émergences des pouvoirs de “petit propriétaire”. C’est là le défi majeur d’un outil comme la foncière solidaire : organiser la dispersion du pouvoir propriétaire dans le collectif, mais surtout autoriser et encourager une maîtrise d’usage qui n’ait pas comme centre de gravité unique la position de sociétaire.

Penser la maîtrise foncière depuis les droits culturels 

Penser et organiser la maîtrise foncière depuis des droits culturels implique d’organiser un sociétariat au service de l’autogestion des communautés, et accepter qu’elle déborde son périmètre d’action pour laisser émerger le lieu comme espace public politique. Cette tension entre outillage propriétaire et enjeu démocratique est l’objet de l’enquête collective amorcée notamment lors de la Rencontre Nationale du Foncier Culturel (novembre 2023, au 6b, Saint-Denis). Elle a réuni une large diversité de lieux qui partageaient à la fois l’urgence d’une solution de pérennisation, et une volonté de questionner la propriété partagée, ses forces et ses apories à dépasser pour la constituer en outil crédible de démocratisation du foncier culturel.

Légende : Saint Denis, France le 24 novembre 2023 – La Rencontre nationale du foncier culturel au 6B.

Source : Observatoire des Tiers Lieux