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26
Jan
2017

“Créer des passerelles entre le monde de l’art et le grand public”

Article de Mona Prudhomme sur le réseau Actes if pour Enlarge Your Paris.

Il y a 20 ans naissait Actes If, un réseau de six cafés musicaux qui fédère aujourd’hui 31 lieux culturels indépendants dans le Grand Paris. Ce 12 décembre, c’est la soirée d’anniversaire au Générateur, à Gentilly. En attendant de boire le champagne, nous avons discuté avec la coordinatrice générale de cette grande famille, Chloé Secher.

Quel est le but originel du réseau Actes If ?

Chloé Secher : Tout commence en 1996. Actes If se construit dans l’objectif de rassembler et d’accompagner six Cafés musicaux ancrés socialement dans leur territoire. Dès le début, il s’agit de préserver l’autonomie des organisations qui le compose. Deux ans plus tard, le réseau compte onze lieux et s’ouvre naturellement à la pluridisciplinarité. L’objectif général est de créer des passerelles entre le monde de l’art et le grand public à travers trois types d’actions : la concertation (réflexion collective, co-construction), la mutualisation (échanges de savoirs et mis en commun de services) et l’accompagnement (aide au fonctionnement et à la mise en place de projets). Plus le nombre de structures adhérentes augmente, plus les outils de mutualisation se développent. Qu’il s’agisse d’outils et de services de communication (logiciel d’envoi de newsletter commun), d’administration (traitement de la paie mutualisé) ou de ressources humaines, Actes If centralise la charge de travail des structures membres et permet ainsi une économie d’échelle.

En quoi les 31 lieux membres d’Actes if aujourd’hui sont liés par une éthique et une ambition communes ?

Ce sont des lieux qui se bâtissent tels des laboratoires socio-culturels, où la transversalité entre les arts et l’attention aux enjeux sociaux sont garantes d’un engagement autant politique qu’esthétique. Leur logique de création est implantée dans le réel, dans l’actualité du monde. C’est un refus de l’art pour l’art. On définit ces lieux comme « issus de la société civile » au sens où ils émergent directement d’une collaboration entre citoyens qui ont identifié un vide à combler dans la cité. Le fait qu’ils s’inscrivent dans une démarche non-lucrative est déjà un acte politique en soi, une prise de risque, au service de missions d’intérêt général et d’utilité sociale. Loin de se contenter d’une belle programmation, les citoyens à la tête de ces espaces de vie vont à la rencontre des habitants et travaillent l’inscription dans le territoire. Cela se traduit par exemple par des ateliers et des débats dans les prisons ou les écoles de la commune. Récemment, l’enjeu de l’accueil des réfugiés est devenu central pour certains lieux.

Comment les structures parviennent-elles à gérer la tension entre leur volonté d’action autonome et leur réalité financière, dépendante de subventions publiques ?

Nous préférons parler d’interdépendance car bien souvent c’est un alliage de multiples partenaires publics et non un rattachement centralisé à une collectivité. En revanche, les lieux membres d’Actes If bataillent pour préserver leur autonomie d’action et prouver la légitimité socio-culturelle de leurs actions. Ce que l’on appelle le tiers-secteur, basé sur un modèle économique solidaire (régime associatif, coopératif et mutualiste), est menacé par la précarité de son statut, par cette position interstitielle entre le secteur privé et public. Il arrive que des lieux se retrouvent happés par les pouvoirs publics, faute de pouvoir subsister de façon autonome. Une structure comme le Café La Pêche à Montreuil a été municipalisée en 2012, après dix-huit ans d’existence et six cents concerts organisés.

Etait-il plus facile d’assumer ce statut indépendant il y a vingt ans ?

On peut penser cela car il est vrai qu’aujourd’hui cette posture intermédiaire est de plus en plus remise en cause. Les collectivités territoriales tendent à favoriser le financement de leurs propres espaces culturels sur lesquels elles ont la maîtrise totale. Nous sommes également face à un dogme de l’entrepreneuriat culturel, qui serait plus efficace car plus innovant. Aujourd’hui c’est « has been » d’être une association ! Mais le fait que nous soyons aidés par les pouvoirs publics s’explique justement par le travail de terrain et les valeurs que nous portons. Promouvoir l’entrepreneuriat culturel à tout va est une logique libérale et les missions portées ne peuvent pas avoir le même impact sociétal.

Notre statut est également fragilisé par le phénomène des projets éphémères publics. Des lieux abandonnés sont mis à la disposition de collectifs, d’artistes ou d’associations. Il n’y a pas d’accompagnement, ni financier ni organisationnel. Il s’agit d’un simple prêt d’espace. Derrière, il y a souvent des enjeux de frais de gardiennage trop lourds pour la collectivité ou l’entreprise propriétaire du terrain et une volonté de gentrification du quartier. Cette pratique s’appuie sur un fantasme selon lequel la pression d’une durée d’occupation courte permettrait de stimuler la créativité. Mais en deux ans, vous ne pouvez pas effectuer un véritable travail sur le territoire. Les instances publiques gardent le pouvoir, ne laissent pas le temps de repenser en profondeur le territoire alloué.

Dans un texte manifeste publié pour marquer l’anniversaire d’Actes If, vous dites : « Nous fêterons les 20 ans d’un combat, au moins centenaire, toujours à mener ! Nous trinquerons, indisciplinés, rescapés et déterminés, à la persistance et au mouvement : à la vie ! » Ce sentiment de résilience est-il encore plus fort aujourd’hui ?

Cette année, nous avons vu deux structures du réseau mettre la clef sous la porte. La liquidation de l’association Confluences (20ème arrondissement), un incubateur de nouvelles formes artistiques très engagé, a été prononcée en septembre dernier. Ce centre de création pluridisciplinaire datait de 1975 et comptait six salariés. Ce mois-ci c’est au tour de la Maison d’Europe et d’Orient (12ème arrondissement), qui possède une librairie, une compagnie de théâtre, une maison d’édition et une galerie, de succomber à la croissante érosion de leur budget. Cette bataille permanente pour une culture populaire, inscrite dans la société et auprès de son public, fait partie de l’histoire du réseau et de tous les lieux qu’il rassemble.

Mona Prudhomme

Retrouvez l’article sur le site d’Enlarge Your Paris

Source : Enlarge Your Paris