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20
Oct
2015

Contribution du réseau Actes if pour la mandature 2015-2021 du conseil régional

PREAMBULE :

La question culturelle a repris récemment place dans le discours politique en France suivant deux thématiques aux enjeux contradictoires :

a) les attentats de janvier 2015 ont déclenché une vague de déclarations quant à l’importance de la culture dans la construction des individus et la nécessité de renforcer une politique culturelle, notamment dans les quartiers périphériques ;

b) les politiques d’austérité et la baisse des dotations de l’État aux collectivités ont imposé ou autorisé une réduction importante des financements publics de la culture, remettant lourdement en cause les acquis et ambitions de 70 ans de politiques culturelles.

Les acteurs du tiers secteur de la culture (acteurs « indépendants » du secteur non lucratif) sont au coeur de ce paradoxe : premiers concernés par l’implication sur le terrain et la relation directe avec les habitants – notamment les plus éloignés des institutions – ils sont les premiers touchés par les réductions budgétaires qui menacent leurs actions et jusqu’à leur existence.

Parce qu’elle agit en complémentarité de l’État, qui concentre l’essentiel de son action sur les institutions « labellisées », et des communes, dont l’action est par nature plus partielle et circonscrite ;

parce que l’échelon régional permet de mener une politique publique d’envergure à partir de la connaissance et de la relation avec les territoires et les acteurs qui y interviennent ;

parce que l’intervention des acteurs de la société civile en termes d’innovation artistique, culturelle, sociale et de pratiques participatives est aujourd’hui unanimement reconnue comme pertinente et efficace – y compris sur le plan économique – mais demeure fortement sous accompagnée par la puissance publique ;

la Région apparaît comme une collectivité essentielle à la garantie d’une diversité artistique et culturelle notamment conditionnée par la reconnaissance et l’accompagnement des acteurs du tiers secteur de la culture.

La présente contribution est élaborée par Actes if, réseau francilien de 31 lieux dits « intermédiaires » ou « lieux de Fabrique », acteurs de la dynamique artistique et culturelle francilienne mais aussi nationale et internationale. A la fois lieux de proximité inscrits dans leur environnement culturel et social, lieux d’expérimentation et de création artistiques, lieux d’implication et de pratiques citoyennes, les lieux dits « intermédiaires » se veulent des espaces d’élaboration et de partage des formes d’intelligence collective. Ils s’organisent à partir d’un modèle d’avenir articulant initiative citoyenne, soutien public et non lucrativité.

Cette contribution entend s’inscrire dans une logique de co-construction des politiques culturelles publiques ; elle considère les avancées mais aussi les limites de la politique culturelle du Conseil régional d’Île-de-France des mandatures passées et formule des propositions concrètes concernant le projet de la mandature à venir.

I. Avancées et limites de la politique culturelle régionale actuelle

La politique culturelle de la Région Île-de-France initiée lors des deux dernières mandatures a notamment été marquée par :

  • La prise en compte – à travers le dispositif « Permanence Artistique et Culturelle » – de la nécessité de soutenir de façon conséquente et durable l’activité artistique et culturelle (notamment fragilisée depuis 2003 par les réformes successives de « l’intermittence »).
  • La prise en compte du rôle de plus en plus important des acteurs du tiers secteur dans la mise en oeuvre des politiques publiques de l’art et de la culture (ex : le dispositif « Fabriques de culture » apporte pour la première fois un soutien au « fonctionnement » des structures et pas seulement une « aide au projet »).
  • Une attention apportée à des secteurs jusqu’alors ignorés ou peu soutenus : arts de la rue et de la piste, musiques actuelles, arts plastiques, livre…
  • Un soutien à la création et à la diffusion dans le domaine du spectacle vivant (notamment à travers la PAC et l’action d’Arcadi).
  • Un soutien aux réseaux culturels permettant l’accompagnement et la structuration des différents secteurs.

Le projet pour la mandature à venir doit considérer les incontestables avancées résultants des actions et dispositifs mis en oeuvre, mais doit aussi impérativement en considérer les limites et les insuffisances. Telles que, notamment :

  • La part modeste du financement de la politique culturelle dans le budget régional : l’idf est la 21e région dans le financement de la culture par habitant et la 20e si l’on rapporte ce financement au budget global (1).
  • L’absence d’instances d’évaluation paritaires et la non prise en compte de multiples préconisations des acteurs de terrain aboutissent à des contradictions, voire des aberrations dans l’élaboration et la mise en oeuvre des dispositifs (par ex : absence de soutien à des structures légitimes et réciproquement, le non cumul des dispositifs méconnait la pluriactivité des structures, etc.).
  • La diminution du nombre des emplois tremplins et des moyens de leur accompagnement accroît la situation de sous-emploi des structures du tiers secteur (-30 % d’ETP/lieu (2) depuis 2005 au sein du réseau Actes if).
  • La forte diminution de l’intervention de la Région en matière de Politique de la Ville et la disparition du volet culture de l’Animation sociale des quartiers (ASQ) fragilise l’action de nombreuses structures sur le terrain.
  • La diffusion du spectacle vivant demeure le maillon faible de la politique régionale (absence d’incitation aux longues séries, exclusion de fait des lieux intermédiaires de l’unique dispositif de soutien à la diffusion).
  • Le fonctionnement et l’action d’ensemble d’Arcadi doivent être reconsidérés (voir Propositions par dispositif).
  • La complexité croissante du règlement administratif et financier pénalise lourdement les structures et freine la mise en oeuvre de la politique culturelle régionale.
  • Les délais de versement des subventions font peser sur les structures les problématiques de trésorerie et les frais bancaires induits.

II. Propositions générales de mise en oeuvre de la politique culturelle régionale

« La responsabilité en matière culturelle est exercée conjointement par les collectivités territoriales et l’État dans le respect des droits culturels énoncés par la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles du 20 octobre 2005. » (Loi NOTRe – article 103)

1. La co-construction des politiques publiques

  • La définition de l’intérêt général et l’élaboration des politiques publiques ne peuvent être l’affaire des seuls élus et de leur administration, elles concernent tous les citoyens dans leur diversité. La mise en place de commissions véritablement paritaires en charge de l’évaluation des dispositifs et des projets soutenus – associant citoyens, représentants de la société civile et professionnels– est un gage d’efficacité et une exigence démocratique que le Conseil Régional d’Île-de-France doit satisfaire.

2. Le développement des coopérations entre la région Île-de-France, les autres collectivités publiques et les professionnels, en matière de politique culturelle

  • Une politique culturelle à l’échelle de l’Île-de-France, ne saurait résulter de l’addition, voire de la juxtaposition, des différentes politiques territoriales. Dans le contexte de la Loi NOTRe et la perspective de la Métropole du Grand Paris – où les compétences obligatoires sont redistribuées et la compétence culturelle affirmée comme compétence partagée – il est urgent de penser la complémentarité et l’articulation des différentes politiques culturelles sur le territoire francilien. La mise en oeuvre de politiques culturelles responsables passe par la création d’instances de coopération associant les collectivités publiques, l’État, les citoyens, les représentants de la société civile, les professionnels. La Région Île-de-France doit contribuer à la création de telles instances, voire en initier la mise en oeuvre.

3. Cohérence de la politique régionale

  • La réussite de la politique régionale passe par la cohérence de ses différents domaines d’intervention. Le cloisonnement des directions et des services s’oppose aujourd’hui à la prise en compte du caractère transversal et pluridimensionnel des activités du champ culturel (qui sont à la fois artistiques, éducatives, sociales, territoriales, économiques…). La politique culturelle régionale nécessite la mise en oeuvre d’une action transversale qui appelle une réflexion commune et une collaboration effective entre les directions de la culture, de la politique de la ville, de l’éducation, de l’emploi, de la formation, de l’économie (ESS), de l’aménagement du territoire.
  • La relation entre la Région et les acteurs de la société civile doit être envisagée à partir des notions de confiance mutuelle et de compétence et responsabilité partagées. Les exigences des services administratifs et financiers – croissantes au fil des ans – constituent aujourd’hui une charge démesurée pour les acteurs de terrain et un véritable frein à la réalisation des actions. Il est devenu impératif de les rationaliser : les services administratifs doivent être au service de l’action régionale et non l’inverse.

III. Propositions concrètes par dispositif

Les Fabriques :

  • Le budget du dispositif, très éloigné des ambitions initiales, doit atteindre une dimension significative de l’échelle francilienne.
  • Mise en place d’une commission paritaire pour l’attribution des financements et l’évaluation du dispositif, comme réclamé durant la concertation, notamment chargée de respecter les critères de recevabilité à l’aide aux fabriques.
  • Augmentation du taux d’intervention de la Région sur l’investissement (à 80 %) comme demandé lors de la concertation : l’impossibilité pour les fabriques de répondre aux exigences actuelles entraîne la forte sous-consommation de la ligne budgétaire votée et altère fortement l’efficacité du dispositif.
  • Possible cumul Fabriques/autres dispositifs Culture de la Région afin de permettre, notamment, un accompagnement de la création des équipes artistiques qui dirigent des Fabriques. A financement équivalent, les acteurs demandaient lors de la concertation à pouvoir émarger sur les dispositifs correspondant à leurs différentes activités.
  • Prise en compte effective de la forte activité de « diffusion » des Fabriques et accompagnement en conséquence.
  • Augmentation du pourcentage de l’acompte (actuellement 50 %) afin de minimiser le décalage de trésorerie.

La PAC :

  • Développement du dispositif.
  • Révision du fonctionnement et de la composition de la commission qui évalue les dossiers (transparence, critères d’évaluation etc…). Plusieurs décisions lourdes de conséquences témoignent d’une connaissance insuffisante de la réalité du paysage culturel francilien.
  • Possible cumul avec d’autres dispositifs culture : l’impossible cumul nie la pluriactivité des structures.

Arcadi :

  • Le fonctionnement et l’action d’ensemble d’Arcadi doivent être reconsidérés (ex : complexification dans l’attribution des aides, montant des aides attribuées en chute, budget de fonctionnement de l’agence en forte augmentation, opacité de certains dispositifs, etc.).
  • Mise en place d’une aide à la diffusion (pour les séries) adaptée aux lieux intermédiaires, avec convention tripartite entre Arcadi, les équipes artistiques et les lieux.
  • Renforcement de la présence des lieux intermédiaires dans les comités de sélection au regard du nombre des équipes qui y travaillent et du rôle essentiel assumé par les lieux intermédiaires dans la diffusion du spectacle vivant en idf.
  • Intégration des Fabriques dans le cadre du dispositif de droit commun des Plateaux Solidaires.

Politique de la Ville :

  • Réhabilitation du volet Culture de l’Animation sociale des quartiers ou réaffectation des crédits à la Direction Culture.

Emplois Tremplin :

  • Augmentation du nombre d’emplois tremplin.
  • Facilitation d’entrée dans le dispositif pour les structures créant un premier emploi (avec mise en place d’une évaluation au bout d’un an).
  • Réhabilitation de l’aide sur 6 ans (la durée d’accompagnement de trois ans ne permet pas la pérennisation des postes dans le secteur culturel) ou possibilité de renouveler l’accompagnement sur un même poste.
  • Accompagnement des initiatives de mutualisation d’emplois encouragées par le dispositif (aucun cadre légal ne prévoit la mutualisation d’emploi entre deux structures).

Fonds Structurels Européens :

  • Faciliter le règlement administratif et la possibilité pour les structures non lucratives dans leur diversité d’émarger sur les fonds structurels européens qui transitent par la région Île-de-France.

Economie sociale et solidaire :

  • Impliquer la direction du développement économique et de l’emploi (secteur économie sociale et solidaire) dans le processus de soutien aux structures non lucratives du tiers secteur culturel.

(1) Source : News Tank Culture, 2014
(2) Equivalent Temps Plein

Source : Actes if